PORTRAIT / Grégoire Alexandre


Grégoire Alexandre est un photographe indépendant, né en 1972 et diplômé de l'ENSP (Ecole Nationale Supérieure de la Photographie). En 2003 il est remarqué à l'occasion du festival international de Mode et de Photographie à la villa Noailles (Hyères) et depuis, sa carrière s'est envolée. Il a travaillé avec les plus grands dans les domaines de la presse, du disque et de la publicité (Wallpaper*, Esquire, Libération, GQ, Metronomy, Yann Tiersen, Westin, Sony, Printemps, Louis Vuitton etc...)

Un travail très intéressant, où son univers à la fois fragile et détonnant nous captive. Présentation... 














"Grégoire Alexandre a réalisé des études à l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie à Arles et a participé au Festival des jeunes créateurs de Hyères où il fut révélé à plus grand public. Très récemment il était sélectionné par le couturier Christian Lacroix au sein de la programmation qu’il signa dans le cadre des Rencontres d’Arles. A l’instar de Paolo Roversi, Tim Walker ou Peter Lindbergh, notamment, le travail de Grégoire Alexandre a été réuni et présenté sous la forme d’une exposition monographique.
La simplicité des moyens utilisés comme celle des formes qui résultent de ses photographies aux tonalités essentielles et ordonnées ont imposé Grégoire Alexandre au monde de la mode. L’apparence des êtres ou des choses n’est pas trompeuse chez lui, mais elle ne se transforme pas non plus en cruauté. Tout à l’inverse, elle devient un fard doux pour la peau ou les angles qu’elle apaise. Avec discrétion et sans fracas, ses compositions fragiles qui ne tiennent souvent qu’à un fil, au sens propre comme au sens figuré, ont inscrit une écriture sensible qui tranche alors avec le vocabulaire photographique de mode des années 90. Des natures mortes de vêtements effeuillés comme les pages d’un livre, des mannequins ensevelis sous le rose d’un cyclo, des lacets de couleurs noués aux branches d’un arbre, chacune des photographies de Grégoire Alexandre distille les sentiments poétiques d’une décennie qui, à trop vouloir les chercher, les ignore parfois."

Texte : © Olivier Saillard, conseiller artistique 2009 du Prix HSBC pour la Photographie




« Les compositions fragiles de Grégoire Alexandre qui ne tiennent souvent qu’à un fil, au sens propre comme au sens figuré, ont inscrit une écriture sensible qui tranche avec le vocabulaire photographique de mode des années 90 ». 







UCHRONIES par Raphaëlle Stopin

La Terre n'est ni ronde ni bleue ; c'est un cube, blanc, percé d'une double porte. Dans ce cube, il y a des grottes d'un blanc immaculé et des licornes de papiers qui parcourent les vallées, des montagnes de farine escarpées et des femmes portant d'un même élan un dieu-fauteuil ; et puis il y a des étendues désertiques, des déserts d'une absolue blancheur, ponctués de quelques parapluies et trépieds en perdition. Pas de soleil, pas de lune, pas de cieux. Juste quelques lumières, qui vont et viennent.
C'est là, dans ce cube blanc, dans ce lieu hors de tout et sans rien, que le photographe Grégoire Alexandre fabrique quasi quotidiennement ses mondes parallèles. L' hubris du créateur s’exprime généralement chez lui à coups de scotch, de fonds de papier et souvent d'accessoires de studio : polyboards, girafes, parapluies et réflecteurs. Quand la mécanique du faire est habituellement dissimulée avec soin derrière des mises en scène illusionnistes, elle tient, chez Grégoire Alexandre, le rôle principal. Ses mondes parallèles n’ont pas la saveur sucrée de songes alanguis, d’ailleurs lointains ; ils sont ici et maintenant, dans le studio, dans la matérialité de ses quatre murs blancs et de tout cet attirail d’aluminium et de polystyrène. L’artifice s’expose et se rappelle à l’image sans cesse ; oui, tout cela est bien du carton pâte, un terrain de jeux pour un photographe qui construit, assemble, empile jusqu’au point critique de l’équilibre et parfois casse tout, dénudant le studio jusqu’à mettre à nu son squelette. Construire, défaire, reconstruire. Le studio, système en perpétuel recommencement, est un organisme vivant. Grégoire Alexandre observe ses cycles de vie et consigne les « après » et les « à côtés » des prises de vues, quand les objets à photographier ont quitté la scène ou quand les figurants, dans l’attente, se regroupent dans un coin, petite cellule humaine se formant dans ce grand corps blanc et vide.
Le photographe fait oeuvre de la contrainte, de lieu – ces quatre murs blancs – et de temps – celui de la commande, éditoriale ou publicitaire, et de ses prises de vues minutées –, c’est son Oulipo à lui, celui qui ouvre, plutôt qu’il ne restreint, le champ des possibles. Et puis, on ne peut omettre l’objet au centre de toutes ces attentions, celui qui motive la commande : il est parfois vêtement de créateur, parfois montre ou sac, par occasion porteur d’expression artistique, souvent, demandant à être porté et transcendé par l’image. Quelques ficelles, un peu d’éclairage, un ou deux accessoires hors-cadre qui s’avancent subrepticement dans le cadre, et voici le monde parallèle qui prend forme. Rien de spectaculaire dans les mises en scènes du photographe, tout est dans le geste, délicat. Comme la simple feuille blanche devient soudain animal fantastique par le pliage savant de l’origami, le cube blanc, exploré par Grégoire Alexandre, révèle des territoires où se déploient fable et poésie.





INTERVIEW 2008 VIA LUXURIANT.LU


Si tu dois te présenter en trois phrases, ça donne ?
Bonjour. Grégoire Alexandre. Photographe
Parviens-tu à définir ton « style » (en photographie) ?
Le style qui s’est mis en place un peu de lui même ces dernières années est fait de retranscription un peu distanciée et amusée d’une forme de réel stylisé, intégrant assez souvent dans l’image les contingences de sa propre réalisation.
Si tu devais choisir deux de tes souvenirs lié à la photo ?
Une des aventures marquantes à été, l’an dernier, la réalisation de la série de photos pour illustrer la première collaboration de Christian Lacroix et La Redoute. Les prises de vues ont eu lieu en Camargue avec toute une équipe déco, mode etc, qui a fonctionnée avec une superbe harmonie. Beaucoup d’enthousiasme, d’envies créatives et de diners bien arrosés.
Sinon, beaucoup de moments où je réalise avec émerveillement tout ce que la photographie me permet comme rencontres
Un souvenir horrible ?
Sans rentrer dans les détails, vers les débuts du numérique, un shooting où maquilleur et styliste se perdaient tellement dans la scrutation de l’écran et avec un tel manque de recul sur le vrai sujet (des accessoires) qu’ils en devinrent totalement paralysant.
Qu’est-ce que l’on trouve dans ta grande « magazinothèque » ?
Tous les Vogue italiens depuis 98, tous les Vogue français depuis 96, tout Numéro, Another magazine, Pop, Paradis et (feu) Photographies Magazine, tout ID depuis 2001, presque tout Purple, Dutch, un bon paquet de Self Service, W, V, Wallpaper*, Dazed And Confused, The Face, Intersection et autres publications plus ou moins alternatives…
Qui sont les photographes que tu admires ?
C’est très varié. J’ai découvert la photographie avec la série Photopoche et ses grands classiques Robert Frank, Brassaï, Weegee, Man Ray, Bill Brandt… J’ai ensuite été plus intéressé par des photographes ayant une approche plus distanciée ou avec des projets plus interventionnistes. J’aime beaucoup le travail de Paul Graham, Andreas Gurski, Philip Lorca Di Corcia.
En mode, avec quelques hauts et bas, je reste très sensible aux images de Mario Sorrenti, Nick Knight, Inez et Vinoodh, Juergen Teller et bien d’autres qui tentent d’avoir une approche plus créative que la moyenne…
As-tu déjà rougi devant un mannequin ?
Je ne me souviens pas.
Qui aimerais-tu photographier ?
Pas vraiment d’a priori. Le problème est souvent plus le contexte que la personne. Pour une célébrité, on dispose souvent de peu de temps et de liberté. Ça peut souvent s’avérer frustrant.
En mode, c’est généralement plus stimulant avec une fille un peu “folle”, ça laisse la place à beaucoup d’imprévus. sinon j’aimerai beaucoup Natalia Vodianova, Jessica Stam et évidemment Kate Moss (quoique là, peut être que je rougirai).
La musique que tu préfères quand tu shoot ?
Un peu de tout, pop, rock… avec souvent une phase Burt Bacharach. Ça met tout le monde de bonne humeur, moi le premier.
Comment s’est passé ta rencontre avec Christian Lacroix ?
Par l’intermédiaire d’Olivier Sailard, conservateur du musée de la mode et du textile aux arts décoratifs. Ils pensaient à moi pour la réalisation d’une campagne photographique à l’occasion de l’exposition Rétrospective de Christian Lacroix et de sa lecture des collections du musée. La rencontre s’est faite en décembre 2006 et avant même que j’entame les prises de vues sur ce projet il m’avait également connecté sur sa collaboration avec La Redoute et un édito pour un magazine. Son enthousiasme et sa confiance ont été entiers et sans faille. Un vrai bonheur !
Il t’a invité à exposer aux rencontres d’Arles, qu’as-tu présenté ?
Une sélection d’images faites depuis 2002 mettant souvent en scène un univers un peu distancié, assez abstrait et ludique, en privilégiant l’aspect installation.
A Londres, tu es exposé aux côtés des plus grands photographes de mode du monde, ça donne la grosse tête ?
Presque.
Aimes-tu poser devant l’objectif des autres photographes ?
Pas trop mais je n’ai pas eu beaucoup l’occasion. Ça peut être une expérience intéressante.
Le mot de la fin ?
À bientôt